Crapounifon@bookwyrm.social a publié une critique de Zouleikha ouvre les yeux par Gouzel Iakhina
Nous ouvrons les yeux
5 étoiles
Zouleikha est une frêle paysanne tatare dans un village retiré de l'URSS au moment de la «dékoulakisation » stalinienne. Après avoir industrialisé de manière bureaucratique, sans discernement et autoritairement, les campagnes ne peuvent suivre la demande. A la famine, Staline va faire piller les campagnes et déporter en masse les « koulaks » paysans « riches », parfois d'une vache.
On découvre Zouleikha percluse de superstition, de religion et de soumission, à son mari et sa haineuse belle-mère, qui érige son étroitesse en vertu.
Le GPU ratisse, tuant son mari, elle sera emmenée dans un terrible voyage de plusieurs mois pour atteindre la taïga sibérienne. Les conditions sont celles de la survie que tous ne supporteront pas.
Et, avec les purges, l'officier assassin se retrouve convoyeur de ce train de koulaks.
Zouleikha est projeté dans un univers qui lui échappe, qui la choque, à la fois oppressif et terrible mais …
Zouleikha est une frêle paysanne tatare dans un village retiré de l'URSS au moment de la «dékoulakisation » stalinienne. Après avoir industrialisé de manière bureaucratique, sans discernement et autoritairement, les campagnes ne peuvent suivre la demande. A la famine, Staline va faire piller les campagnes et déporter en masse les « koulaks » paysans « riches », parfois d'une vache.
On découvre Zouleikha percluse de superstition, de religion et de soumission, à son mari et sa haineuse belle-mère, qui érige son étroitesse en vertu.
Le GPU ratisse, tuant son mari, elle sera emmenée dans un terrible voyage de plusieurs mois pour atteindre la taïga sibérienne. Les conditions sont celles de la survie que tous ne supporteront pas.
Et, avec les purges, l'officier assassin se retrouve convoyeur de ce train de koulaks.
Zouleikha est projeté dans un univers qui lui échappe, qui la choque, à la fois oppressif et terrible mais aussi, par la force des choses, émancipateur.
Un exemple, elle est interrogée par l'officier qui fait tomber un cendrier. Elle est sidérée de le voir ramasser les mégôts et le cendrier. Pensez, un officier, un homme !
L'officier s'était engagé soldat de l'Armée rouge, défendant la révolution russe en 1918, deviendra un salopard du GPU puis, à force de doutes et d'épreuves, s'humanisera.
Le roman est direct, l'autrice fût étudiante en cinéma, mais avec parfois une grande poésie.
On voit ainsi le développement de l'Union soviétique, par le prisme de ce goulag avec une vision non binaire, objective, de ce qu'a pu apporter ce nouveau système, hérité d'une révolution, déformé par la dictature, entre émancipation et oppression implacable. Il y a la famine, les purges, la guerre. Au passage, l'Union soviétique sera le premier pays à légaliser l'avortement. Staline l'interdira en 1936.
D'aucuns ont reproché un roman malsain, sur les relations entre bourreaux et victimes. Cela juge plus leur manque de sensibilité et de discernement sur l'un des aspects essentiels, l'ouverture des yeux de Zouleikha. Ils se montrent ainsi incapables d'une vision non-binaire, a fortiori quand il s'agit de l'émancipation d'une femme.
D'autres, ou les mêmes, ont dit que ce camp ne montrait pas l'horreur de ce que c'était. Là encore, la dureté de la vie y est pourtant montré tout le long, parfois en arrière-plan mais toujours présente. Il y a eu différentes époques et différents régimes pour les camps, entre prisons, isolateurs, camp de travail. Voir Le sablier.
Bref, de l'horreur d'une soumission humiliante, bestiale et étroite à l'oppression d'une femme émancipée malgré tout. Zouleikha a eu la force de supporter ce qu'elle voyait, et en retour, elle nous ouvre aussi les yeux.
C'est la force de ce roman de montrer comment l'émancipation, la vie, se fraient un chemin.
Un grand roman, donc, émouvant par son écriture, sa justesse et son empathie.
La préface de Ludmila Oulitskaïa, écrivaine russe contemporaine, salue une nouvelle écrivaine tatare en langue russe. Elle cite en prédécesseurs, Tchinguiz Aïtmatov, auteur soviétique puis kirghize, qui a écrit un recueil de nouvelles, Le premier maîtredont c'est la première édition en français.
La postface, par Georges Nivat, spécialiste de la littérature russe, est intéressante si l'on tient compte son anti-communisme réécrivant l'histoire.
Gouzel Iakhina écrira ensuite Les enfants de la Volga, chronologiquement avant Zouleikha ouvre les yeux puis Convoi à Samarcande. Les deux autres sont, paraît-il, au moins aussi recommandables.
Elle sentira que la douleur qui a inondé le monde n’est pas partie, mais qu’elle lui a accordé un peu de répit.