Ameimse a publié une critique de Arborescences par luvan (Abécédaire de l'imaginaire, #1)
Arborescences
5 étoiles
Il s'agit du premier ouvrage d'une nouvelle collection, "Abécédaire de l'imaginaire", s'inscrivant dans la continuité d'une revue allemande, Kapsel, qui traduit et diffuse des histoires de science-fiction chinoise. L'objectif y est de croiser des visions d'auteurices chinois·es et européen·nes, pour initier des échanges et envisager des façons de raconter des futurs. Le projet éditorial est donc le suivant : constituer des ouvrages autour d'une nouvelle écrite par un·e auteurice chinois·e, à partir de laquelle des auteurices européen·nes proposent des textes inédits qui font écho à cette nouvelle. Inaugurant la collection, "Arborescences" rassemble trois nouvelles : "Le nid", d'une autrice chinoise Chi Hui, traduite en français par Gwennaël Gaffric. En écho, deux nouvelles sont proposées : "Une fluctuation dans le vide", d'Aiki Mira (traduction de l'allemand par Thomas Herth et Miléna Yung), et "Marginalia", de luvan. L'ouvrage est accompagné d'illustrations d'étudiant·es de la Haute École des arts du Rhin, à Strasbourg. …
Il s'agit du premier ouvrage d'une nouvelle collection, "Abécédaire de l'imaginaire", s'inscrivant dans la continuité d'une revue allemande, Kapsel, qui traduit et diffuse des histoires de science-fiction chinoise. L'objectif y est de croiser des visions d'auteurices chinois·es et européen·nes, pour initier des échanges et envisager des façons de raconter des futurs. Le projet éditorial est donc le suivant : constituer des ouvrages autour d'une nouvelle écrite par un·e auteurice chinois·e, à partir de laquelle des auteurices européen·nes proposent des textes inédits qui font écho à cette nouvelle. Inaugurant la collection, "Arborescences" rassemble trois nouvelles : "Le nid", d'une autrice chinoise Chi Hui, traduite en français par Gwennaël Gaffric. En écho, deux nouvelles sont proposées : "Une fluctuation dans le vide", d'Aiki Mira (traduction de l'allemand par Thomas Herth et Miléna Yung), et "Marginalia", de luvan. L'ouvrage est accompagné d'illustrations d'étudiant·es de la Haute École des arts du Rhin, à Strasbourg.
"Arborescences" s'ouvre avec "Le nid", laquelle propose une déclinaison originale autour des thématiques classiques d'une certaine science-fiction : il y est question d'impérialisme et de conquête spatiale d'un Empire galactique humain, face à une société non humaine, pacifique, les Tanlas, dont la planète attise les convoitises. L'autrice force à grands traits les réflexes ethnocentrés, les préjugés et l'arrogance des Solariens, tandis qu'elle permet aux lecteurices de voir peu à peu dévoilées les spécificités et les soubassements de la société matriarcale autochtone dont les humains entendent exploiter la planète selon leurs seuls besoins. L'ensemble forme un court récit, solidement exécuté, dont la chute finale est parfaitement amenée et vient détourner avec brio les archétypes avec lesquels l'autrice joue tout au long du récit.
Partant sur des bases narratives beaucoup plus déstabilisantes, la seconde nouvelle, "Une fluctuation dans le vide", m'a marquée. J'avais eu une première expérience de lecture d'Aiki Mira grâce à un très court texte traduit et publié un peu plus tôt cette année dans l'anthologie "Soleil·s. 12 fictions héliotopiques" parue chez La Volte. Les quelques pages m'avaient alors fait forte impression. "Une fluctuation dans le vide", plus longue, est une sorte de confirmation. J'espère que d'autres oeuvres d'Aiki Mira seront traduites en français ! La nouvelle ici proposée investit un registre cyberpunk en délivrant un récit aussi intense que déroutant qui, depuis la subjectivité d'une "larve", entraîne les lecteurices dans une quête d'incarnation, de corporéité, de liberté, de construction de soi... Cela donne une narration particulièrement travaillée et assez vertigineuse, qui m'a happé comme rarement.
Enfin, "Marginalia" de luvan offre une autre déclinaison autour des thèmes du changement, de la différence et de l'altérité, s'aventurant cette fois dans un cadre post-humain : celui d'une société féminine descendant de l'humanité qui s'en éloigne biologiquement peu à peu au fil de diverses mutations. Sous la forme d'un récit épistolaire relatant a posteriori une histoire marquée par des catastrophes, il y est question d'adaptation, d'évolution, d'amour, mais aussi de tragédies à laquelle la narratrice prépare les lecteurices... et de ce fossé de plus en plus grand qui se creuse avec une humanité surplombante et exploitante. Dans cette post-humanité, s'esquisse un autre rapport au monde, au temps, à l'altérité. La chute-ouverture est ici encore admirablement amenée, tout en permettant de renouer directement avec l'univers du "Nid".
En résumé, j'ai beaucoup aimé, aussi bien les trois nouvelles envisagées de façon indépendante, que l'ensemble et la façon dont elles se répondent. Si elles mobilisent des thématiques classiques de science-fiction, elles en proposent des déclinaisons personnelles qui fonctionnent. Je surveillerai avec intérêt le volume suivant de la collection :)